Historique des projets de l’ALAQ
Le projet « Archéologie du littéraire au Québec (1759-1839) » (ALAQ) a été fondé en 1990 par Bernard Andrès et René Beaudoin, à partir de leurs travaux sur Pierre de Sales Laterrière (1743-1815). Depuis lors, les recherches de l’ALAQ ont été subventionnées par le CRSH et le FQRSC, puis par la bourse Killam du Conseil des Arts du Canada. Le projet ALAQ se consacre depuis 1991 aux premiers textes de la littérature québécoise. Ces réalisations - et leurs auteurs - ont longtemps été négligées par les historiens de la littérature.
L’ALAQ en est maintenant rendu à la huitième phase de son projet qui porte sur l'«Archéologie littéraire de l’humour au Québec : XVIIe-XIXe siècles» (subvention CRSH-Savoir - Individuel, 2012-2016).
NOUVEAU PROJET SUBVENTIONNÉ PAR LE CRSH (SAVOIR-INDIVIDUEL) : 2012-2016
« Archéologie littéraire de l’humour au Québec : XVIIe-XIXe siècles »
Analyse des premières productions littéraires du Québec sous l'angle de l'humour verbal, ce jeu de langage qui transpose de façon plaisante tout objet, même le plus grave. Les études sur l'humour au Québec portent essentiellement sur le XXe siècle. Aucun ouvrage actuel ou passé n'embrasse l'humour québécois sur une longue période et dans l'ensemble de ses manifestations. C'est ce que l'on se propose d'entreprendre avec un corpus étendu sur les trois premiers siècles de l'histoire du Québec et du Canada. Distinct de l'ironie, du sarcasme et de la satire, l'humour est plus subtil que le comique. S'il peut être abordé sous différents angles (philosophiques, psychologiques, politiques, identitaires), l'humour repose toujours sur un procédé discursif conduisant au rire ou au sourire. C'est donc d'abord comme acte de langage que l'on abordera l'humour, sa grammaire énonciative et ses procédés discursifs, à travers les textes liminaires du corpus littéraire québécois. Nous entendons ici les tout premiers poèmes, chansons, témoignages, récits, dialogues, textes théâtraux ou pièces d'éloquence ayant circulé au Québec, du régime français au régime anglais (XVIIe-XIXe siècles).
De la Nouvelle-France au début de la Confédération canadienne, peu de genres littéraires ont échappé à cette forme de transposition et de libération qu'opère l'humour. C'est l'humour de ces textes qui consacre leur littérarité. Cette dernière réside dans leur capacité à transposer le réel, à instaurer une distance critique dans l'appréhension des faits, à susciter une complicité avec le rieur et à le libérer de ses entraves. Après avoir décrit le procédé littéraire en soi, nous examinerons sur trois siècles sa réception et son impact sur la société, passant alors du cas individuel à la collectivité. Mécanisme de défense contre la souffrance, le rire ou le sourire ont un effet cathartique chez l'individu. Mais l'humour agit aussi sur les mentalités collectives et sur l'identitaire : ainsi en est-il dans le discours journalistique, les brochures politiques, les parodies littéraires, les comédies, les satires ou dans certaines utopies déjouant la censure. Quand il parvient à provoquer ce rire libérateur, l'humoriste joue un rôle social déterminant. Il passe alors de simple blagueur ou d'amuseur public au statut d''auteur' : il fait pleinement œuvre littéraire. Pour vérifier cette hypothèse inusitée d'une « littérature, fille de l'humour », on se basera sur des concepts et sur une méthodologie que l'on pratique depuis une vingtaine d'années : l'Archéologie littéraire.
DESCRIPTION SOMMAIRE DES SEPT PREMIÈRES PHASES (DE LA PLUS RÉCENTE À LA PLUS ANCIENNE)
2009-2012
Le réseau intellectuel de Jacques Viger (1787-1858) : auteur, animateur et premier maire de Montréal
Subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, ce projet concerne Jacques Viger (1787-1858), intellectuel, collectionneur, animateur et premier maire de Montréal. Il consiste à retracer, saisir, indexer et analyser les correspondances liées au réseau culturel de Jacques Viger. Celui-ci était en rapport avec l’ensemble des acteurs et des actrices du milieu intellectuel de l’époque : Denis-Benjamin Viger, Louis-Joseph Papineau, Louise-Amélie Panet, Joseph-François Perrault et d’autres personnages importants qui font partie des premières générations de lettrés et de passeurs culturels actifs durant cette période mouvementée de l’histoire du Bas-Canada et du début de l’Union.
L’intérêt de Jacques Viger, outre sa longue période d’activité (1808-1858), réside dans la richesse de son réseau. Cet érudit de premier plan agit et interagit avec des francophones comme des anglophones, des laïcs, des religieux, des Canadiens, des Américains ou des Européens. Il s’illustre dans des domaines aussi variés que l’histoire, la sociologie, l’archivistique, l’administration municipale, l’urbanisme, l’armée, les Belles-Lettres et les Beaux-Arts, la linguistique et la toponymie, la géographie, l’archéologie, la statistique, la vie associative, ainsi que la politique. À ce chapitre, toujours loyaliste à l’égard du régime britannique, J. Viger évolue du Parti canadien au réformisme modéré, puis au conservatisme et à l’ultramontanisme. À travers lui, peut se lire tout le spectre idéologique et culturel de la petite bourgeoisie canadienne-française de la première moitié du XIXe siècle.
2006-2009:
Biographie intellectuelle de Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810)
L’objectif principal consiste à rédiger la biographie intellectuelle de Jacques Grasset de Saint-Sauveur (1757-1810). Ce Canadien d’origine a été consul de France, écrivain, illustrateur, éditeur et aventurier. Auteur prolifique de la fin du XVIIIe et du tournant du XIXe siècle, il est pourtant négligé par l’histoire littéraire québécoise, comme par les historiens français. Cette étude sera la première entièrement consacrée à cette personnalité. Cette biographie intellectuelle prolongera la recherche entamée par John Hare sur le rayonnement des Canadiens à l’étranger. À travers le portrait de J. Grasset, nous entendons brosser celui de son milieu et de son époque (le monde de l’édition française sous la Révolution, puis l’Empire).Notre type de biographie est une forme d’essai critique analysant aussi bien les stratégies de carrière de l’individu, que les formes d’écriture qu’il a pratiquées : encyclopédies et récits de voyages et de découvertes, étude des mœurs et des costumes, récits mythologiques, manuels de morale et de botanique, théâtre, sciences et arts, tableaux cosmographiques, mais aussi récits libertins.
2003-2006 :
Les aventuriers canadiens au XVIIIe siècle
Nous étudions les personnages historiques d'aventuriers dont l'action se situe principalement au Canada durant le XVIIIe siècle, en soulignant ce qui le distingue des aventuriers européens. Pour cela, nous comparons les parcours et discours d'une trentaine d'individus repérés dans nos travaux antérieurs et dresserons, au terme d'une analyse prosopographique, socio-institutionnelle et discursive le portrait-type de l'aventurier canadien. En quoi sont-ils le produit d'un siècle et d'un contexte géopolitique, mais aussi, comment agissent-ils sur leur milieu et transforment-ils la société qui les accueille ou les rejette? Nous faisons l'hypothèse qu'entre la norme et sa subversion, l'aventurier canadien crée un nouvel espace de référence et d'innovation dans des champs aussi variés que la culture, l'industrie, le commerce, la médecine, la politique, ou même parmi le clergé. Une vision positive de l'aventurier est possible: sans l'aventurier, sans ses tribulations et les utopies qu'il a promues sur le continent, l'Amérique du Nord aurait-elle pu se reconfigurer comme elle l'a fait au terme du XVIIIe siècle?
Nos aventuriers sont militaires (d'Iberville, Beauchêne, Sagean, Lahontan, Johann de Kalb, Saint-Luc de Lacorne), espions ou faussement accusés d'espionnage (Pichon-Tyrell, Roubaud, Johann de Kalb, du Calvet, Cazeau, Laterrière, Mesplet, Jautard), juges ou fonctionnaires (du Calvet, Haldimand), médecins et/ou autobiographes (Laterrière, Piuze, Beauchêne), négociants ou entrepreneurs (Cazeau, Quesnel, Laterrière), journalistes, auteurs ou imprimeurs ou diplomates (Mesplet, Jautard, Crèvecoeur, de Nancrède, Grasset de Saint-Sauveur) ou religieux (Bailly de Messein, Huet de la Valinière). Ils sont nombreux à avoir transité par les colonies américaines.
2004-2005 :
Cartographie des espaces relationnels et de circulation du littéraire au Québec au XIXe siècle (CERQL-4D)
Suite au post-doctorat de Julie Roy et aux échanges de celle-ci et de Bernard Andrès avec une équipe du CNRS à Marseille, l’ALAQ a signé en 2005 un protocole de coopération avec le « SHADYC » (Laboratoire de Sociologie, histoire, anthropologie des dynamiques culturelles, dirigé par Monsieur Jean Boutier). Le projet commun de recherche s’intitule : « Diffusion et partage des savoirs en Europe et dans les Amériques à l’Âge moderne, et modalités d’adaptation d’une instrumentation électronique de recherche et d’édition aux sources utilisées ».
Dans le cadre de ce projet, l’ALAQ a entrepris la recherche intitulée « CERQL-4D : Cartographie des Espaces Relationnels et de circulation du Littéraire au Québec au XIXe siècle ». Il s’agissait d’exploiter à l’aide du logiciel ARCANE le fonds d’archive « La Saberdache » de Jacques Viger (Archives du Musée de l’Amérique française, à Québec). Développé à l’Université de Montpellier par Éric-Olivier Lochard et Dominique Taurisson, ARCANE permet de saisir les textes de ce fonds et d’indexer les renseignements jugés pertinents à l’analyse d’un réseau culturel et intellectuel qui a pour pôle le collectionneur et premier maire de Montréal Jacques Viger (1787-1858). L’objectif consistait à réaliser une cartographie dynamique des échanges, des vecteurs, des trajectoires et des stratégies de légitimation qui ont cours dans la toute première République des lettres québécoises. Une soixantaine de lettres ont alors été retranscrites, indexées et enrichies selon la méthode d’ARCANE. Ce projet sera complété ultérieurement (voir 2009-2012).
2000-2005 :
L'archive littéraire, matière et mémoire de l'invention (B. Andrès, directeur, avec les chercheurs associés Jacinthe Martel et Marc André Bernier).
En étudiant l’archive littéraire québécoise, du XVIIIe siècle à nos jours, nous cherchons à renouveler l’optique traditionnelle qui n’accordait qu’une valeur documentaire à tout ce qui précédait l’Œuvre proprement dite. Pour nous, qu’ils s’agisse de textes anciens, de matériaux préparatoires, d’états préliminaires ou de variantes, l’archive représente une étape cruciale dans l’avènement des lettres québécoises. L’invention même du littéraire s’y donne à lire. C’est parce que des publicistes, des poètes et des épistoliers de la première heure ont risqué des textes au lendemain de la Conquête anglaise, que la littérature a pu prendre son envol au tournant du XIXe siècle. C’est sur le terreau de leurs écrits, dans le souvenir des premiers cours de rhétorique, qu’a émergé la conscience politique des premiers orateurs (Papineau, Parent). C’est enfin dans la mémoire de ces archives que s’est forgée la pensée littéraire des Viger, Bibaud, Aubert de Gaspé, Garneau, Casgrain et de leurs épigones. Mais l’archive du corpus québécois n’est pas seulement la mémoire des premiers pas. À chaque étape de la constitution du champ littéraire, correspond un nouveau substrat à partir duquel s’invente le prochain écrit, surgit l’œuvre nouvelle (aussitôt devenue l’archive de la suivante). C’est l’histoire de ce perpétuel recommencement, de cette polygénèse du littéraire que nous traquons, de Valentin Jautard à Napoléon Aubin, de Pierre du Calvet à Dessaules, Buies et Fréchette, de Saint-Denys Garneau à Hubert Aquin et à Jacques Brault. Tout comme la critique génétique analyse les dossiers du poète ou du romancier, ravivant la mémoire du geste créateur, tout comme l’histoire de la rhétorique jette aujourd’hui des ponts entre tradition et novation, l’archéologie du littéraire retrace dans l’archive des “lieux de mémoire” où s’ancre l’innovation.
2000-2003 :
Histoire littéraire de l’utopie au Québec
Si l’utopie est la fiction prospective d'un pays où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux, le Québec s’est-il déjà imaginé heureux et heureusement gouverné? Après la vague des utopies religieuses ayant marqué le XVIIe siècle canadien, un mouvement laïque d’« utopisation » commence en Nouvelle-France avec les écrits du Baron de La Hontan, au tournant du XVIIIe siècle. La circulation utopique se fait alors du Canada vers la France et l’Europe. Après la Conquête, la frange « éclairée » de la bourgeoise canadienne emprunte à son tour au discours des Lumières un certain nombre de figures pour rêver sa cité idéale. Entre l’acte de Québec (1774), la Constitution de 1791, la fondation du Parti canadien (1805), les Patriotes, l’Union, l’Institut canadien et la Confédération, toute une série d’utopies circulent dans la littérature. Il s’agit donc d’étudier l’évolution du discours utopique au Québec entre la fondation de la Nouvelle-France et le XIXe siècle. L’analyse porte plus particulièrement les premiers textes utopisants qui circulent entre le tournant du XVIIIe siècle et les années 1830.
1997-2000 :
Le personnage du Canadien dans les premiers écrits littéraires au Québec (1759-1839)
Ce programme de recherche analyse sous un nouvel angle la figure du Canadien français, de 1759 (les Plaines d'Abraham) à 1839 (le Rapport Durham). À partir d'un corpus de textes nouvellement mis à jour et souvent inédits, on étudie la façon dont le Canadien est représenté dans les toutes premières œuvres diffusées au Québec et au Bas-Canada (par "Canadien", nous entendons aussi bien la Canadienne, comme en témoigne l'importance que nous accordons dans ce projet aux écrits féminins). Analyser les multiples facettes du Canadien comme personnage, c'est comprendre le jeu identitaire sur lequel s'est fondée une population, s'est construite une nouvelle culture en Amérique du Nord au tournant du XIXe siècle. En examinant ces textes et écrits littéraires trop longtemps négligés par la critique, nous dégagerons les traits principaux de cette figure et son évolution, de la Conquête au lendemain des Rébellions de 1837-1838. Notre objectif est de corriger les stéréotypes souvent contradictoires véhiculés tant par l'historiographie cléricale des XIXe et XXe siècles (nostalgie de la Nouvelle-France, refus des Lumières et loyalisme), que par un certain regard du conquérant (clichés du Canadien mal dégrossi, du "traître" ou du "peuple sans histoire ni littérature"). Une tout autre réalité, une vision bien différente de la "nation" unissaient alors les "peuples fondateurs" (même les Britanniques des deux Canadas se découvraient alors un destin canadien). Cette nouvelle lecture du passé nous permettra de mieux comprendre les enjeux présents de nos débats constitutionnels.